Mort à Venise
Il est des visages d’acteurs qui s’inscrivent à jamais
par des instantanés dans nos mémoires, quel que soit le moment de nos vies où
ils sont venus s’y inscrire.
Pour moi, c’est le cas de celui de Max von Sydow,
figure du diable dans « Le Septième Sceau » d’Ingmar
Bergman, celui de Marcello Mastroianni s’envolant dans le ciel de « Huit
et demi » de Federico Fellini ou encore les deux faces égarées d’Emmanuelle
Riva et de Jean-Louis Trintignant, dans la confrontation infiniment douloureuse
d'« Amour » de Michael Haneke.
La récente rediffusion sur Arte de « Mort à
Venise » de Luchino Visconti n’a pas seulement fait réapparaître les
visages superposés de Stendhal et de Philippe Sollers, comme celui de Dirk Bogarde,
transpirant ses cheveux teints dans les dernières minutes de survie à une épidémie
cachée du choléra, mais celui de Tadzio, « Le plus beau visage du monde »,
l’acteur Björn Andrésen, devenu pour jamais et sans en maîtriser les
conséquences, l’éternel visage de l’amour mortel.
La chaîne Arte s’est une fois de plus honorée de
présenter un documentaire qui éclaire d’un jour implacable la vie qui attendait
un garçon de 14 / 15 ans qui ne se remettra jamais de s’être fait piéger dans
la toile d’araignée tissée par un cinéaste pervers.
Entre reportage sans concession des étapes d'une véritable déchéance
matérielle, sans oublier de scruter au plus près un visage qui s’est ravagé,
tout en gardant cependant des traits fantômes de sa beauté perdue et la prise en
compte d’une parole rare, ce film est autant un hommage un peu embarrassé à l’acteur, qu’un réquisitoire pour le grand metteur en scène !
« Je voulais être ailleurs et être quelqu’un
d’autre », confie Björn, placé sous antidépresseurs lors de la tournée
qui suivit le film, alors que certains fans l’attendaient armés de ciseaux,
pour lui voler des boucles de cheveux. « Comme un rêve surréaliste »,
observe-t-il.
Par ailleurs, Visconti, dont les archives ont gardé non
seulement les étapes filmées de sa quête de la beauté supérieure, comme les
séances de casting, montrant sans retenue les réticences et les abandons moraux –
pour tout dire l’absence d’éthique vis-à-vis de son modèle – déclare : « Il
n'y a pas de danger de glisser dans la sexualité, ce qui serait une grave
erreur. »
Glisser ou frôler ? La frontière est à portée de
regard, en permanence.
Voilà bien la transcendance et l’immoralité des
instantanés que nous collectionnons, dans toute leur vérité et toute leur horreur.
« Des yeux couleur de l'aube »,
écrivait Thomas Mann pour décrire Tadzio, tandis que Visconti, avec sa cruauté habituelle
avoue : « Celui qui regarde la beauté regarde la mort. »
Sommes-nous donc aussi mortifères que nos instantanés eux-mêmes
?
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