Instantanés européens : La rigueur et l’esbrouffe. Bernard Tapie Versus Catherine Lalumière

 


 

L’unanimité en politique me surprend toujours, sauf si elle est destinée à faire face à une grande catastrophe naturelle, à un massacre guerrier inconcevable, à la montée scandaleuse des fascismes ordinaires, oublieuse des leçons de l’histoire ou à la stupeur devant une casse sociale injustifiée.

Celle qui vient de se réaliser il y a quelques jours autour de la disparition de Bernard Tapie ne laisse pas de me surprendre et, pour tout dire, me trouve plutôt désemparé.



Je pourrais encore accepter que les couvertures des principaux quotidiens et hebdomadaires affichent une photographie du disparu, prise dans ses heures de gloire, ou dans ses heurtes de maladie implacable.

Ces images disent souvent plus qu’un long panégyrique ou qu’une critique acerbe !

Je pourrais tout aussi bien comprendre que les supporters d’une équipe de football qu’il a marquée de son empreinte affichent leurs larmes. Et je n’en veux ni à sa famille, ni à ses amis proches et inconditionnels, voire à ses mentors publicitaires, d’afficher leur tristesse réelle.

Nous sommes tous confrontés à la disparition d’un être cher, dans une douleur qui est de l’ordre de l’intime !

Mais pour ce qui concerne la présence médiatique, autour d’un cercueil, des personnalités politiques, la première dame en tête, ou celle des acteurs qui ont eu à la côtoyer, parfois aux pires moments de ses excès et de ses forfaitures, je reste pétrifié d’étonnement.

Une sanctification aussi unanime du pirate germanopratin, fondée sur le pardon que lui vaut son combat télévisé avec l’extrême-droite, interroge sur la santé politique de mon pays, ou plutôt sur l’état de confusion d’une majorité de ses représentants et de ses élus.

Il est certes toujours nécessaire de continuer à rendre coup pour coup aux extrémistes, surtout au moment où l’immigré devient le nouveau bouc-émissaire qui fait vaciller même les convictions des moins suspects de détestation de la démocratie.

Mais la confusion des genres politiques – ni de droite, ni de gauche – ni de rien d’ailleurs - au gré des circonstances - fait froid dans le dos !

Serions-nous revenus dans les années 30, avec cette fois des menaces d’une fascisation douce, qualifiée même d’intellectuelle, en deux mots « acceptable » et « respectable », faute de rigueur et de colonne vertébrale de la pensée ?

Ces clichés de Bernard Tapie, portraits instantanés affichés à la une des quotidiens et des hebdomadaires, clichés appelés à disparaître aussitôt que célébrés, justifieraient, s’il en était besoin, l’inauguration de ce nouvel espace personnel de réflexion sur les rapports entre l’éphémère et l’histoire que sont les instantanés.

Au contraire de la célébration des icones, qu’elles aient été sacrées ou totalitaires et adorées en tant qu’images d’intercession avec Dieu, le Diable, le Prince ou le Chef, je souhaite mettre en exergue dans ce blog parallèle à d’autres, commencés pour certains dans les décennies précédentes, où je me trouvais plus au cœur de l’événement.

Outre les affichages professionnels, il s’agissait souvent d'une mise en perspective des contradictions inavouées et mêmevolontairement occultées des lieux et des visages que j’ai croisés.

On me pardonnera de croiser ainsi aujourd’hui le portrait d’un homme d’affaires, celui d’un affairiste qui a profité de l’entrée de la France dans une longue période de désindustrialisation, avec celui d’une personnalité intègre à laquelle j’aurais dû consacrer depuis bien longtemps un post dans l’espace consacré aux « Ponts de l’Europe ». 

Il s’agit de Madame Catherine Lalumière.



Face à elle, voici un homme dont les actions et les interventions ont révélé au grand jour les contradictions de ses dirigeants en ce qui concerne l’adhésion vécue de manière honteuse à une mondialisation dite « positive ».  

L’origine de ce rapprochement dialectique peut sembler commode et purement circonstancielle, mais elle remonte pourtant au mois de mai 1994.

A la fin des cinq années, où l’ancienne ministre socialiste de différents gouvernements nommés par François Mitterrand, a présidé aux destinées du Conseil de l’Europe en tant que Secrétaire Générale, était venu le moment de poser candidature pour un second mandat.

Il ne lui a manqué que quelques voix pour qu’elle devienne la première Secrétaire Générale, depuis l’origine, à voir son mandat ainsi renouvelé.

Mais ces voix nécessaires, ce sont des députés français de l’Assemblée Parlementaire qui lui ont été refusées.

Un règlement de compte qui ne touche pas seulement une opposition traditionnelle droite / gauche, mais tire ses contradictions délétères dans la politique locale bordelaise.

Il tient d’abord en effet à la carrière universitaire et politique locale de Monsieur Pierre Lalumière, juriste et député, intégré aux équipes qui ont aidé François Mitterrand à accéder à la Présidence de la France. 

Et il tient à celle de Madame Lalumière elle-même qui avait commis le crime de lèse-majesté de présenter sa candidature à la mairie de Bordeaux contre la gloire finissante d’un grand résistant, ancien Premier Ministre, encalminé dans ses certitudes urbaines hors d’usage : Jacques Chaban-Delmas.

C’est ainsi que s’est arrêtée la période sans doute la plus féconde, imaginative et rigoureuse du travail géopolitique du Conseil de l’Europe, à un moment où commençaient d’adhérer des pays d’Europe centrale et orientale qui venaient de faire leur retour à l’état de droit.

Une période que j’ai eu l’immense chance de vivre de l’intérieur, de 1992 à 1997.

L’histoire du Conseil de l’Europe et de certains de ses programmes sociaux et culturels, voire de son rôle pratique dans l’élaboration d’une conscience européenne profonde à laquelle elle était fermement attachée, en eussent certainement été changés !

Mais j’ai et – et j’aurai - l’occasion de m’exprimer à ces sujets, en tant que témoin parfois privilégié, mais impuissant.

Une heure après l’annonce de ce vote qui reste encore aujourd’hui à mes yeux un scandale politique français, le Cabinet de la Secrétaire Générale rédigea, comme c’est l’usage, un communiqué de presse pour l’AFP.

Et dans l’espace d’un éclair, un coup de téléphone de Bernard Tapie invitait son ancienne collègue, députée et ministre, à le rejoindre au sein du Parti Radical de Gauche.

Moment de bascule ?

Au risque pour Madame Lalumière de se laisser absorber par l’agitation médiatique qu’elle avait toujours su éviter ?

Et, de fait, elle fut, de manière éphémère l’héroïne furtive d’un épisode des « Guignols de l’Info », princesse captive d’un « Nanard » triomphant, dont la marionnette était plus vraie que nature.

Mais ce serait mal la connaître, elle qui a su résister à la stratégie du Président français qui avait conçu l’idée étrange de la création, avec entre autres la volonté d’impliquer Vaclav Havel, mais en visant d’abord une alliance prioritaire avec le Président russe Gorbatchev, d’une « Maison commune européenne ».

C’est ainsi que l’on rapporte qu’en 1993, lors du premier sommet des chefs d’Etats et de Gouvernements du Conseil de l’Europe à Vienne – premier sommet pour une Institution née en 1946, elle demanda à la délégation présidentielle française qui souhaitait qu’elle vienne s’entretenir avec le Président, que celui-ci fasse le premier pas.

Je crois savoir que la rencontre eut lieu à mi-chemin !

A quoi aurait bien pu servir en effet cette « Maison » puisque le Conseil de l’Europe en ralliant par ratification de la Convention européenne des Droits de l’Homme, les « nouveaux pays » de l’Est et du Centre de l’Europe, devait élargir ses collaborations originelles nées des cendres de l’après-guerre mondiale ?

Et combien elle avait raison !

Comme elle eut ensuite raison, au sein du Parlement européen, dont elle fut un temps la Vice-Présidente de vouloir rallier la Turquie avant que le pays ne fasse retour vers la nostalgie d’un grand Empire Ottoman expansionniste.

Ainsi se sont exprimés deux volets de la période où la Gauche française s’est ralliée, pour le meilleur et le pire, à la Présidence d’un lecteur de Machiavel durant quatorze années.

On aura compris que le portrait du bateleur qui vient de disparaître m’a fort heureusement amené aujourd’hui à mettre en valeur le contraste parfait : celui de la rigueur politique.

On aura aussi compris que je garde espoir !  



Note :   

Au cours de sa carrière, l’homme d’affaires qui a porté de nombreuses casquettes, a également fait son apparition dans l’hémicycle du Parlement européen (1994-1997). Il est décédé dimanche 3 octobre, des suites d’une longue maladie.

Sportivement tout d’abord,...mais aussi dans le jeu politique après son élection en juin 1994 au Parlement européen. Cette année-là, après avoir refusé de s’allier avec les socialistes menés par Michel Rocard, mais conforté par le Président de la République François Mitterrand, il conduit sa propre liste baptisée “Energie Radicale”, pour le Mouvement des radicaux de gauche (MRG).

Contre toute attente, Bernard Tapie recueille 12 % des suffrages, permettant à sa liste de gagner 13 sièges, et fait donc son entrée dans l’hémicycle européen aux côtés de Christiane Taubira, Noël Mamère ou Catherine Lalumière. Dans le sillage du succès de la liste Energie Radicale, les 13 eurodéputés français sont rejoints au Parlement européen par six autres (Royaume-Uni, Italie, Belgique, Espagne) et constituent le groupe “Alliance radicale européenne” (ARE) dont Catherine Lalumière prendra la présidence (1994-1999). Bernard Tapie siègera principalement durant ce mandant au sein de la commission des transports et du tourisme, ainsi que celle des relations économiques extérieures dont il était membre suppléant.

Ce passage à Strasbourg, marquera également la fin de sa carrière politique. En novembre 1995, il est condamné en appel à huit mois de prison ferme et trois ans d’inéligibilité dans l’affaire VA-OM, un match de football truqué entre le club marseillais et celui de Valenciennes deux ans plus tôt. 

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