Ghost writer
Après la
polémique qui a accompagnée la sortie de « J’accuse », un film
dont la nécessité politique et l’actualité du sujet semblent chaque jour aussi
criantes qu’à l’époque où Emile Zola publiait sa défense contre les
manipulations de sinistre mémoire de l’armée française, la projection le 11
novembre sur la chaîne Chérie 25 de « Ghost writer », m’a amené
à réviser mes classiques.
Combien de
films signés de Roman Polanski ou bien joués par lui ai-je vus en salle ou sur
le petit écran depuis « Le couteau dans l’eau », lors de
sa sortie en 1962 quand je lisais « Les Cahiers du Cinéma » avec
avidité et tombais avec fascination dans le gouffre de « Huit et demi » de Federico
Fellini ?
Ou plutôt,
pour être juste, combien en n’ai-je pas vus à partir du moment où le
cinéaste est moins apparu à mes yeux comme un dissident, proche d’Andrzej
Wajda, que comme un narrateur de l’effroi et de l’horreur, pour lequel les criminels
diaboliques côtoient les vampires comme des évidences ?
Une vie tout
aussi tragique que celle de la majorité des personnages de ses films où le
secret est le plus souvent la règle d’un jeu truqué.
Ecrire un
discours ou des mémoires pour une célébrité politique, sportive ou artistique
est devenu aujourd’hui une sorte d’obligation, même s’ils possèdent des comptes
sur les principaux réseaux sociaux !
Cette
écriture « fantôme » peut constituer un défi régulier dans
certaines professions ou lors de certaines missions. Il m’est arrivé de devoir
entendre, ou bien parfois de lire moi-même lors d’un congrès où les
intervenants n’avaient pu se rendre, plusieurs discours complémentaires que j’avais
tous écrits.
Le seul
avantage est de pouvoir faire des références mutuelles aux idées exposées par
les uns et les autres, par avance, en toute connaissance de cause et
presque en toute impunité !
Le film de
Polanski est bien entendu plus « tordu » qu’un simple récit
relatant les détours d’un plaisir égotiste. Il s’exerce à créer des doutes, à
mettre le projecteur sur les différentes couches d’un secret qui touche au
génocide, à la dissimulation des preuves et à l’élimination des témoins gênants.
Rien d’autre que ce dont les moyens d’information sur des épisodes géopolitiques récents, du bloc de l’Est des années « rideaux de fer » d’où vient le cinéaste, aux luttes obscures et sans règles déontologiques contre des Califats malfaisants, nous ont saturé l’esprit.
Une saturation trop souvent, concertée, au
point de brouiller toute dimension critique : celle des observateurs
professionnels, des lanceurs d’alerte, comme la nôtre. Et, bien entendu, destinée
à perturber le recul historique nécessaire, pour les événements les plus
anciens.
« Tout
comme nous entrevoyons la fin des énergies fossiles, l’épuisement des terres et
des océans, la raréfaction du vivant, le numérique et ses écrans poussent à
leur limite nos attentions sollicitables, notre « temps de cerveau disponible
» écrit le chercheur Guilhem Fouetillou dans « Le Monde ».
L’auteur
du roman qui a permis d’élaborer le scénario, Robert Harris, écrit pour sa
part :
« J'ai
glané beaucoup d'informations de l'intérieur du système. J'ai eu accès à des
dossiers auxquels aucun journaliste n'avait accès à l'époque. J'ai pu me
renseigner sur la manière dont certains se comportent sous la pression, la
manière dont on vit quand on est sous protection rapprochée en permanence, sur
le rapport au pouvoir, et sur l'excitation et l'adrénaline que cela procure. Ce
qui m'a intéressé, c'est de capter une quantité infinie de petits détails
plutôt que d'obtenir une approche globale du pouvoir, c'est tout cela qui nous
renseigne sur la manière dont les gens évoluent dans ce type d'univers. »
Je veux
bien le croire.
Le film,
même s’il ne constitue pas un chef-d’œuvre à l’égal de certaines autres
créations du cinéaste, restitue, par un trouble permanent, une réalité
insupportable, cependant implacable.
Insupportable
parce qu’elle nous installe volontairement dans une permanence inévitable
et pourtant scandaleuse ! Miroirs à multiples facettes du cinéma qui préfigure,
avec quelques années d’avance, les facettes sans cesse mouvantes des écrans
numériques où nous puisons les informations et les instantanés du monde.
Devons-nous
y reconnaître Tony Blair ou Boris Johnson et les menteurs des grandes
réunions internationales sur l’avenir climatique ? Ou bien nous contenter des
feuilles qui s’envolent dans les rues de Londres, comme les éléments de
chapitres essentiels qui doivent retourner dans les replis de l’oubli balayé
par le vent ?
Enfer numérique
des illusions du pouvoir…et des nôtres !
Enfer des
documents encombrants jetés dans les poubelles de l’histoire !
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