De Paris à Strasbourg : Richard Rogers toujours présent
Il est des disparitions dont l'annonce vient nous cueillir le matin au réveil, comme le signe d'un hiver qui fait retomber sur les épaules un rideau de brumes froides, en fermant l'horizon.
Je ne serai ni le premier, ni le dernier à me sentir orphelin lorsqu'un père de l'architecture comme Richard Rogers vient à disparaître, mais j'ai immédiatement évoqué pour moi-même des images qui pourraient figurer en tête de trois chapitres de ma vie.
Lorsqu'avec plusieurs amis et sous l'égide de Pierre Daquin, nous avons décidé de créer à la fin des années soixante-dix un journal d'association "Driadi", devenu ensuite le trimestriel "Textile/Art" qui se maintiendra en vie une dizaine d'années, nous avions fait figurer un petit dessin humoristique où quelques petits lapins aventureux creusaient leur terrier sur une esplanade qui avait longtemps servi de parking quasi sauvage : le Plateau Beaubourg.
Cette sorte de non lieu était en train de se recouvrir d'un bâtiment symbolique de ce que deviendraient les Centres d'Art et de Culture. Au centre de Paris était en train de naître : un espace pluridisciplinaire et pluriel, à la fois centre d'art, musée, bibliothèque publique, espace ouvert à la création industrielle et atelier pour les enfants.
C'est devant la Piazza Beaubourg que j'ai eu la chance, pendant quelques années, dans un immeuble de la rue Saint Martin, de venir régulièrement me réfugier entre les missions de l'Institut Européen des Itinéraires culturels qui, par chance, m'amenaient à faire étape à Paris.
Ce chapitre-là amène à faire se superposer dans ma mémoire : de grandes affiches consacrées aux expositions en cours, une horloge qui comptait de manière inexorable les secondes qui précédaient le couperet de l'an 2000, l'exploration des trésors d'une bibliothèque où on pouvait travailler au calme en explorant sans fin une base de données extensive, des moments passés à la recherche d'objets insolites dans une boutique design, d'autres moments tout aussi précieux à feuilleter les ouvrages d'art et les revues de la librairie, l'un des meilleurs endroits pour rencontrer les acheteurs de "Textile / Art" - paradoxe de l'histoire !
Et surtout, comme dans un film en boucle, les montées et les descentes à l'intérieur de ces tubes qui avaient tant choqué lors de la construction, afin d'atteindre les différents plateaux et - ne le cachons pas - de découvrir les toits de Paris en prenant un café.
Sans oublier le travail des amis, comme Claude Mollard qui ont conduit le chantier, Pontus Hultén (et sa compagne Marie-Louise Gräfin Von Plessen), qui a été appelé par le couple Pompidou à le diriger et y a conçu les grandes enjambées stimulantes intitulées "Paris-Moscou, Paris-Berlin, Paris-New York ou Paris-Paris" et tous ceux qui ont été responsables de rétrospectives inoubliables.
Je ne veux pas utiliser, pour désigner le Centre Pompidou, le terme d'écrin, qui apparaîtrait trop conservateur, mais comment ne pas penser que cette unité multifonctionnelle qui a été "surconsommée", plus par les touristes que par les amateurs de culture et par les étudiants, a constitué pour moi, pendant des années, un peu comme un trésor voisin, que l'on peut ouvrir comme une armoire aux trésors, quand on en éprouve le besoin ou quand on a besoin de se rassurer.
Richard Rogers nous a fait à tous un cadeau car ce trésor n'est pas seulement mien. Il est à la fois personnel et universel.
Un lieu, un Centre au sens le plus fort des deux termes !
Mais il reste un troisième chapitre.
Et ce n'est pas le moindre !
La construction du Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg ne s'est pas faite non plus sans polémiques. Ce sera finalement grâce à Catherine Trautmann que j'aurais enfin l'occasion de rencontrer l'architecte.
C'est à son invitation qu'il est venu présenter son projet, un bâtiment fondé à l'époque sur deux Cours de Justice, deux tribunaux complémentaires, devenus depuis une Cour unique.
Soirée inoubliable. Bâtiment inoubliable le long duquel j'ai aimé aller me promener, même après avoir quitté Strasbourg, chaque fois qu'une réunion m'y appelai et bien entendu quand j'y suis revenu en 2012.
Instance souvent sous pression, mais dont la conjonction avec les autres instances européennes voisines célèbre la résistance des démocraties et les fondements de la construction espérée par les pères de l'Europe.
Une fois de plus Rogers était présent au rendez-vous de nos rêves européens et au rendez-vous de la vie que j'ai tenté d'y consacrer.
Toujours présent dans mes instantanés, tant que je me souviendrai.
Les photographies, sauf celle de l'architecte, sont de l'auteur.
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