Instantanés d'absence / Im Winter ein Jahr
Parmi mes instantanés de la semaine passée, vient se placer la découverte d'une cinéaste allemande, Caroline Link.
Son film, diffusé par Arte a pris en français le titre de : "L'Absent", tandis que l'original allemand précisait l'espace de temps qui s'est écoulé depuis un drame familial, la disparition d'un fils et d'un frère : "Im Winter ein Jahr".
La mise à plat de l'intrigue proposée par Arte dit beaucoup, mais n'explique rien. Sinon, il serait inutile de plonger dans l'image !
Il ne s'agissait pas seulement pour les auteurs de ce texte d'éviter de divulguer un secret, que l'on devine pesant, dès les premières images, mais parce qu'il est toujours difficile de caractériser ou de raconter l'impalpable :
"Un an auparavant, un drame a frappé les Richter, famille bourgeoise sans histoires : leur fils cadet Alexander, jeune homme pourtant joyeux et accompli, s’est donné la mort à l’âge de 19 ans. Depuis, ses parents et sa sœur luttent pour tenter de retrouver un semblant d’équilibre. Dévastée par l’absence, Éliane, la mère, charge le peintre Max Hollander d’exécuter un portrait monumental du disparu aux côtés de sa sœur Lilli, qui devra poser pour lui. La jeune femme de 22 ans se prête à contrecœur à l’exercice, réticente à l’idée d’exposer cette scène factice dans la maison familiale. Brillante étudiante en arts scéniques, indépendante et créative, Lilli se débat déjà avec peine contre la spirale de culpabilité et d’autodestruction provoquée par le deuil de son frère, d’autant plus difficile à accepter que son suicide reste inexpliqué. Au fil des séances, le vieux peintre et sa jeune modèle apprendront à se connaître et à surmonter leurs défiances, mais surtout à apprivoiser l’absence, chacun à leur manière..."
De fait, au-delà de l'intrigue, il s'agit d'un long récit qui vise à revenir sur l'instantané de regards croisés ou plus exactement, sur le moment où ces regards sont devenus une convergence vers un point focal.
En quelque sorte, nous rencontrons là l'énigme de tous les grands portraits. Celle de La Joconde, ou encore celle de l'autoportrait d'Albrecht Dürer qui est également diffusé par Arte dans une série consacrée aux "Grandes oeuvres et aux grands artistes".
Mais l'interrogation atteint jusqu'à la banalité évidente de nos millions de selfies quotidiens.
Les autoportraits narcissiques et les portraits de commande qui ponctuent l'histoire de la peinture nous regardent en permanence, mais que regardent-ils vraiment ?
Notre mémoire, notre conscience, nos regrets, nos désirs, nos rêves ?
En l'occurrence, la commande qui est faite au peintre taciturne et solitaire, héros central de ce film dans l'oeil duquel se figent ceux de deux adolescents, constitue, malgré le contexte bourgeois qui semble rejoindre a minima la demande des ligues néerlandaises ou des familles toscanes, une fenêtre ouverte sur un drame profond et non la simple trace matérielle du caprice futile d'une mère aisée qui souhaite décorer son salon.
Ce film sait emprisonner avec délicatesse les intermittences du coeur.
Il côtoie en les frôlant les vérités difficiles à avouer et le trouble des désirs.
Ses personnages en sortent "transformés", pour ne pas dire "meilleurs", ce qui serait inapproprié, car le film n'est surtout pas moraliste.
Et lorsque s'affiche le double portrait final du frère et de la soeur, ce sont aussi les spectateurs qui sortent "transformés".
Qu'attendre de mieux d'un grand film que de nous laisser nous éloigner dans l'émotion de la neige qui tombe et enveloppe le réel ?
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