Prises au piège

 


Il est rare que soit donnée à connaître et surtout à voir sur les écrans une Suisse pluriculturelle et surtout une Suisse des banlieues et des grands ensembles.

Encore une des qualités de la sélection de l’Arte KinoFestival : savoir mettre en valeur des cinéastes, très connus ou moins connus, peu importe, qui creusent le regard.

"Sami, Joe et moi", trois adolescentes remarquablement interprétées, trois destins hérités du passé de leurs parents, passé souvent douloureux, remis à plat par une société du regard, où rien ne passe inaperçu, mais où tout peut être ignoré.

Est-ce si différent de la situation dont les télévisions font quotidiennement le compte-rendu dans les pays voisins de la Suisse ? Autrement dit dans nos « banlieues » où se côtoient et s’affrontent les origines ethniques ou géographiques et les langues !

« Une Suisse au-dessus de tout soupçon », titrait Jean Ziegler en 1976.

La réalisatrice et actrice Karine Heberlein, quelques décennies plus tard, abandonne pour son premier long-métrage le terrain des banques et de la neutralité cher aux intellectuels critiques, celui des situations sociales et économiques privilégiées, pour lesquelles rien ne change vraiment, en dehors des communiqués de presse qui essaient de nuancer pour relativiser les privilèges persistants.

Elle réussit à nous attirer hors des beaux quartiers de Genève, de Berne ou de Lausanne, pour nous faire entrer dans les appartements et les cours, les petites usines et les commerces de quartiers où les barres d’immeubles sont certes bien propres, mais où les drames intimes ne sont pas très différents de ceux de la Seine Saint-Denis, des alentours de Lyon ou des quartiers Nord de Marseille, la violence extrême en moins.

Mais à part l’effort d’intégration où le Schweizerdeutsch recouvre, pour le moment de l’entrée dans la vie professionnelle, comme la cape qui rend invisible le magicien, l’italien mêlé de sarde ou de sicilien, l’espagnol mêlé d’andalous, le portugais cap-verdien ou le bosniaque extirpé du drame de l’éclatement des spécificités yougoslaves !

Sans parler des arrières plans religieux.



La violence ne passe pas par les incendies. Elle passe par les contraintes sociales et historiques. Mais aussi par la contrainte des corps, harcèlement au travail, allant jusqu’au viol et à la vengeance en retour !

Elle se trouve dans les têtes résignées des parents qui ont réussi à quitter des enfers ordinaires pour s’immerger dans des paradis illusoires ou tout simplement inatteignables. Hors d’atteinte même aux meilleurs passeports en règle et aux certificats de nationalité accordés par les « faiseurs de Suisses ».

Le film nous piège au sortir de l’école, quand la vie va s’offrir : vacances, petits ou grands boulots, amours dangereuses avec pour horizon le recrutement islamique et l'ordinaire de la garde des frères et soeurs, de  ceux qui ne sont pas encore sortis de l’école.

Le Festival du film de Zürich résume bien la situation :

« Sami, Joe et Leyla – une clique de filles inséparables. La fin de leur scolarité aurait dû signer le début d’un été palpitant, mais c’était sans compter les problèmes familiaux de chacune. Sami souffre de la sévérité de ses parents et d’un frère dominateur. Joe doit s’occuper jour et nuit de ses frères et sœurs, tandis que sa mère, célibataire, accumule les heures supplémentaires. Quant à Leyla, elle commence, nerveuse, son apprentissage dans une grande cuisine. Dans cette période riche en changements, leur amitié semble leur seule ancre mais sera mise à rude épreuve face aux divers événements qui vont les bouleverser. »

Banal, n’est-ce pas ? Comme la découverte du temps des injustices !

Et pourtant, rien moins que banal. Exceptionnel, tout au contraire !

Et la cinéaste nous dit : où sont nos rêves. 

Et elle regarde avec  nous les avions

 Dans le ciel. 


 

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