Consommer l'art. Maria, une femme de ménage révolutionnaire qui a la banane.

 



Rien n'est art, ou tout est art. 

Durant les années où j'ai pris plaisir à écrire régulièrement des articles pour la revue Textile / Art, je me suis " éduqué ", dans tous les sens du terme. J'ai appris à dénoncer et à combattre des frontières, jusqu'au jour où j'ai compris qu'il s'agissait d'un leurre. 

Il n'était que temps d'abandonner une recherche qui n'avait de sens, pour les critiques traditionnels, que dans un étroit contexte historique synchronique défendu comme une sorte de propriété territoriale.

J'ai alors adopté une approche diachronique en me fiant aux historiens de métier qui étaient adeptes du temps long

Et si j'ai eu envie d'écrire sur les artistes de Supports/Surfaces, du Néoréalisme ou sur ceux du courant Surréaliste, sur des personnalités que j'ai croisées, interviewées ou à qui j'ai déclaré mon admiration par écrit, ou en les choisissant pour sujets et objets des expositions qu'on m'a confiées, dans tous ces cas, mes motivations étaient plus personnelles que généralistes.

Pour mieux concrétiser cette constatation : si j'ai récemment choisi de republier un texte sur mon ami Patrice Hugues, qui reste un ami à vie, dans l'absolu où il se trouve maintenant dans un espace de ma mémoire, c'est d'abord en ce qu'il a changé mon regard, en le mettant en abîme de manière permanente.

La question qu'il continue de me poser : "Que se passe-t-il à l'arrière plan ?" Et encore, et encore ! Quelque plan qu'on choisisse ! 

Dans toutes ces générations avec lesquelles j'ai intimement communié, des années 70 aux années 90, je suis toujours aujourd'hui dans l'incapacité de distinguer des courants ou des familles. 

Mais je sais, avec détermination, sur qui je vais de nouveau écrire ou pour qui je vais tenter de recoudre les fragments de mes archives matérielles et mentales.



Tapta. Environnement.


Ainsi, Pierre Daquin, l'un des rares créateurs dont j'ai visité une exposition cette année, après plusieurs années d'éloignement géographique entre nous, sera le prochain, avant Magdalena Abakanowicz et Elsi Giauque dont j'ai croisé une route à Lausanne, il y a deux ans et Tapta qui a reçu un hommage, également en Suisse, l'an passé.



Pierre Daquin. Action feu.


Mais, je veux pour le moment rester dans "l'instantané" d'une banane et dans celui d'un film : "Maria rêve", sorti en salles il y a déjà trois ans. Un film de fiction qui est venu par son sujet, "happer" mon intérêt pour ce fruit dévoré et photographié pour le bonheur des journalistes et certainement le contentement conceptuel de Maurizio Cattelan

Un fruit valant, ou ne valant pas, selon le contexte, plusieurs millions de dollars. 

Les interprètes du film de Lausiane Escaffre et Yvonick Muller, tout comme le visiteur affamé du Centre Pompidou de Metz, sont ainsi devenus - ensemble - des "Comedians", épousant ainsi lors de la soirée de ce lundi une proximité qui a réveillé mon désir d'écrire au plus vite.





Une femme de ménage est engagée par l'Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Elle tombe amoureuse d'un appariteur qui connaît les lieux bien mieux que la plupart des élèves et des enseignants. Un film romantique ?

Une femme de ménage qui va poser nue pour les séances de dessins libres de modèle. Un film racoleur ?

Et tout simplement une femme qui découvre que la création peut se lover dans un environnement de fils tendus, de jets de peinture, de "coquillages" en forme de sexes féminins ou dans une vidéo interactive qui devient très lascive et pourrait figurer dans une salle d'exposition de "vidéoformes".

Des élèves qui ont du mal à exposer à leur professeur la teneur exacte du concept de leur oeuvre, au grand étonnement de celle qui balaie les couloirs de leur école et a déjà intégré les contours biaisés du langage "savant" des "sachants". 



Participants à la réunion de l'ETN à Strasbourg.


Sans rire, ils m'ont fait souvenir que, lors d'une visite de l'Ecole Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg avec les membres du Réseau Européen du Textile ETN dans les années 90, le traducteur du Conseil de l'Europe était à la fois plus à l'aise et plus exact dans les termes de son interprétation, que les paroles embarrassées des étudiants.

J'ai donné des conférences aussi bien à Strasbourg qu'à Paris.

J'en garde un très bons souvenir du vernissage de l'exposition "Quarante ans de tapisserie en France" qui avait été confiée à Denise Majorel en 1985, exposition mise en place au sein de l'Ecole de la rue Bonaparte, quelques années après que le Ministre Jack Lang l'ait promise aux ateliers qu'il visitait à Aubusson.

Mais tandis que je suivais la délégation qui entourait le ministre, je réalisais avec une terreur montante que quelques instants plus tard, je devrais moi-même guider la même délégation dans les escaliers, les salles et le grand hall du Musée des arts Décoratifs, de l'autre côté de la Seine.

Réalisant également que je devrais commenter à ce même ministre - à qui quelques bonnes âmes avaient suggéré mon incompétence - un choix d'artistes internationaux, tous représentants d'une "révolution" dans le domaine de l'art de la fibre que la Biennale de la Tapisserie de Lausanne avait largement illustrée, en dépit des convictions plus restrictives de Jean Lurçat qui était pourtant à l'origine de l'initiative suisse.




Long parcours dans le cadre de "Fibres Art", exposition jumelle et strictement liée à celle des Beaux Arts, dans un cheminement destiné à lui présenter les créateurs présents venus des USA, d'Allemagne, des Pays-Bas, de Suisse ou de Belgique.

"Je suis agréablement surpris". 

Gentille attention que j'espère sincère pour des paroles qu'il me confia à l'abri des regards de la foule des courtisans, ainsi qu'à "ma" co-commissaire et metteuse en espace de certaines des oeuvres plutôt gigantesques, Vera Székely, avant de quitter les lieux. 

Je sais que Claude Mollard, le Délégué au budget, puis à la création, nommé à l'arrivée du gouvernement socialiste en 1981 - et que je connaissais depuis quelques années, comme lecteur de Textile/Art et visiteur régulier de la Galerie La Demeure -, et dont le frère, Robert Moro, figurait dans l'exposition, a apporté tout son soutien à notre travail, comme il l'avait fait en me demandant dès 1982 d'être responsable ce ce volet de l'art des fibres, malgré mon inexpérience quasi totale en matière d'élaboration d'expositions, surtout pour une occasion aussi officielle.

Le ministre nous décorera quelques mois plus tard du titre de Chevalier des Arts et Lettres.

Je reste fier d'avoir choisi aussi bien l'intimité des mailles noires d'encre de Chine de Pierrette Bloch, autant que le satellite géant de Pierre Comte accroché dans la grande galerie, comme les sacs de jute en cascade de l'oeuvre "Terre catalane, je t'aime" de Maria Teresa Codina s'élevant avec fierté dans cette même galerie.

Sont-elles étranges, toutes ces oeuvres, mariant la paille, le bois, le jute, la laine, le coton ou l'acier, au cuir ou au néoprène ?

Parties prenantes de la nouvelle tapisserie, de l'art des fibres ou tout simplement du "soft art" ?  

Ma réponse était dans le choix, un choix assumé !

Une leçon commune à tous ces souvenirs, pour terminer sans fermer ? 

Souvenirs revenus dans la superposition d'une actualité et d'une satire filmée plutôt réussie ?

Ou un simple retour au point de départ : "Rien n'est art et tout est art".

Je laisse, parce que cela me semble juste, le soin à Ben Vauthier de l'écrire pour moi. 





 


 

  

      


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

7 jours à Levanzo.

La disparition du Cardinal André Vingt-Trois. L'été de la Saint Martin de 2004 au coeur des Itinéraires culturels.

Mort à Venise