Dreyfus, un Eternel sans Panthéon ?
Au milieu des instantanés qui se bousculent chaque
jour dans tous les espaces que nous consultons, il est clair que lorsque la
fumée des contradictions se disperse, il subsiste une sorte de rire sardonique
qui vient directement des rives du passé.
Que tente-t-il de nous dire, ce rire funeste ?
Il tente en vain de nous alerter sur la montée des extrémismes :
« Souvenez-vous
du début du XXème siècle, dans ces années où les nationalismes exacerbés ont
annoncé la guerre et fait taire Jean Jaurès. »
Son corps abattu fin juillet 1914 sera transféré au
Panthéon dix ans plus tard. En signe d’un armistice plutôt que d’une concorde.
Une autre guerre germait déjà dans les esprits de ceux
qui s’estimaient trahis !
Parallèlement, mon grand-père paternel, était abattu
en mars 1915 et enterré sept ans plus tard, presque jour pour jour.
Des vies parallèles ?
L’une magnifique dans son engagement politique sans
concessions, qui l’expose inéluctablement à son assassinat par les extrémistes
de l’intérieur.
L’autre plus humble, dans la boulangerie familiale,
qui expose le sous-officier de réserve de quarante ans à rejoindre le front et
à rencontrer la mort venue des lignes ennemies.
Je me suis avisé que mes
grands-parents qui vivaient, plongés en permanence dans les souvenirs vifs de
leurs propres parents : des souvenirs dramatiques de soldats entourant
Paris en 1870, avaient côtoyé la grande histoire !
Dans l’ambiance délétère des cimetières de la guerre
précédente, ils avaient eux-aussi croisé un politicien devenu célèbre par son
engagement contre Alfred Dreyfus : Albert de Mun, maire et châtelain de Lumigny-sur-Marne,
qui les avait mariés.
J’ai déjà relevé l’actualité de Dreyfus dans un post récent concernant le cinéma de Polanski.
Le Président de la République française poursuit depuis plusieurs années un parcours de mémoire où l’image des guerres mondiales est centrale. Elles ont en effet impliqué la France et sont de sa part l’objet de mises en perspective.
De la
complicité de la police française vis-à-vis de la déportation des Juifs de France,
à son implication dans la mort d’immigrés originaires d’Algérie dans les années
soixante, pour faire enfin retour il y a quelques jours à Médan au début du XXème siècle et embrasser
dans un même élan de repentance Emile Zola et Charles Dreyfus.
« A Médan, la maison d’Emile Zola jouxte
le musée Alfred Dreyfus. Zola et Dreyfus, liés de leur vivant
par une lutte sans concession pour la vérité et la justice, sont désormais
célébrés, ensemble, dans ce lieu symbolique du croisement
de leurs destins et des valeurs pour lesquelles ils se
sont tant battus.
Chaque année, depuis plus d’un
siècle, dans sa propriété de Médan, on rend hommage à l’auteur de « J’accuse ».
Le projet d’en faire un lieu de mémoire et d’y établir
un musée semblait donc naturel. Il était aussi impérieux de contrer le travail
de sape du temps et de l’oubli. L’œuvre immense de Zola, lue à
travers le monde, n’a que faire d’un toit. En revanche, le souvenir de
l’homme, méritait d’être mieux conservé. Sa maison de Médan,
qu’il chérissait tant et où il fut sans doute le plus lui-même, était en très
mauvais état et gardait depuis longtemps portes closes. Sa restauration et
sa réouverture au public, permettent maintenant à qui la visite
d’entrer dans l’intimité de l’écrivain, de mieux comprendre sa
façon de vivre et d’y travailler au quotidien. »
Volonté muséale, si je lis bien, de redonner une sorte
d’élan neuf dirigeant le regard vers deux personnalités nécessaires, au point
de mettre en avant, au-delà de la scénographie des documents fixes et animés, l’approche
plastique de Bob Wilson.
Il y aurait donc là un lieu de citoyenneté qui aurait
pu devenir un Centre de Culture européenne, si ce réseau existait encore ou que
le projet d’un itinéraire culturel sur les lieux de pédagogie active pouvait
voir le jour.
« Un Musée pour connaître le passé et
comprendre le présent et dans lequel la question de la laïcité, garante de la
liberté de conscience et barrière à l’injustice, à l’intolérance et au rejet de
l’Autre pour ce qu’il est ou ce qu’il pense, constitue l’un des principaux
messages. » écrit encore France Culture.
« Vous redites l’importance de ce destin si
particulier, de cet homme qui a subi le pire, l’humiliation, le silence,
l’isolement. Rien ne réparera ces humiliations mais ne les aggravons pas en les
laissant oubliées, aggravées ou répétées », a déclaré le Président français à qui on ne peut faire grief de tout instrumentaliser en faveur d’une
campagne électorale à venir, même si certaines occasions, comme celle de l'annonce de mesures contre la pandémie, sont trop graves pour faire l'objet de bilans pro domo.
D’autres procès sur l’intolérance seront certainement à venir.
D’autres sont en cours.
Dreyfus, comme Zola sont toujours des armes fortes contre les visages grimaçants des barbares !
Ils contribuent, encore et encore à tisser une toile de fond que,
fort heureusement, les tornades médiatiques et les querelles politiques ne
sauraient tacher.
Mais, aller ainsi plus loin dans la série des « en même
temps » ?
« Appartient-il au président de la République de
faire de Dreyfus un général, aujourd’hui ? Ma réponse de principe serait non
», a d’abord répondu le chef de l’Etat, interrogé par le Grand rabbin de France
Haim Korsia sur cette manière de « réparer » l’affaire Dreyfus.
Réparer, mais avec prudence.
Un jour, peut-être, les deux héros de « J’accuse !
» partageront ils le même tombeau pour l'éternité du respect ?
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